Textes lauréats de 1997

Catégorie A

- Sous le pont

- Eau de Rose

- Un calme serait insupportable s'il était interminable !

Catégorie B

- L'orage

- Juste le temps d'un orage

- Le pont d'Alienor-Anne

Catégorie C

- Une journée sans nuage

- Et maintenant, est-ce que je regrette ?

- Le vieux qui regardait l'eau

Sous le pont.

Sous le pont, l'homme attend que le beau temps revienne.
Le temps où le travail n'était pas un souci.
Les bons temps où le soleil éclairait sa vie.
où il mit son espoir en un monde sans haine.
Sous le pont, l'homme voit la ville qui l'a rejeté
parce qu'il n'était pas fait pour la société.
A cause d'elles il a froid dans ses habits troués.
A cause d'elles il a faim sans argent pour manger.

Sous le pont, l'homme désespère de voir le beau temps.
L'homme souffre et faiblit par ce temps glacial.
Il pense aux autres bien au chaud, lisant le journal.
Il vit seul sous les ponts, il n'a pas de logement.

Sous le pont, l'homme qui pour tout le monde avait tant
n'importunera plus personne car il est mort.
Sur le sol glacé en ce jour gît un corps.
Son corps inanimé sous le pont près du port.

Justin GISTELINCK, de Mouscron.

 Début

 

Eau de Rose

Il pleut.
- Pourquoi pleut-il, Rose ?
La rose somnole sur les pavés, elle s'étire.
- Dis-moi Rose, c'est pourtant l'été !
- Bah, à Paris, je ne vois pas ce que cela change !

Elle m'étonne. comment peut-elle dormir avec ce vacarme ?
- Si tu allais chercher du pain, on pourrait peut-être manger.
- Avec quoi, je n'ai que treize francs.
- Eh bien mendie ! J'ai faim, moi !
Je ferais n'importe quoi, je sors de mon abri; les éclairs dessus de ma tête, il drache. Quelle poisse !

Rue Maugier, beaucoup de gens passent, mais rue Elouard, i1s sont plus généreux. J'irai donc rue Elouard.
Evidemment, avec la pluie, les gens se terrent dans leur maison, et je ne peux me résoudre à faire du porte-à-porte. Il est exclu aussi de revenir les mains vides, Rose se jetterait à l'eau, sans concession.
Oh, Rose, comprendras-tu un jour que je ne suis qu'un nul, un benêt, Un éternel perdant?

- Ca y est, je l'ai ton pain !
Ce n'est pas la première fois que je vole, mais l'acquisition de cette baguette me pèse quand même sur le coeur.
- Rose !
La rose est là, couchée sur le côté, et elle tremble, elle tremble !
- J'ai froid, Paul ! Terriblement.
- Tu veux que j'appelle un médecin !
- Non, ça va, ça va passer.

Elle tremble de plus en plus. Cette fois, c'est décidé. Il faut la soigner !
- Non, Paul, de toute façon, tu n'as pas de quoi payer.
Elle me calme, me rassure et, j'ai honte de l'avouer, je finis par m'endormir.

Le lendemain, elle est telle une fleur coupée. Je la touche : elle est froide. Son coeur ne bat plus, et ne battra plu jamais. Elle est restée belle, même dans la mort.

Je m'écroule, et mes larmes se mêlent à la pluie.

De l'eau, encore de l'eau !

Thomas KEPENEERS, de Liège

 Début

 

Un calme serait insupportable s'il était interminable !

Ils étaient là, sans très bien savoir pourquoi. L'orage grondait et les éclairs illuminaient la ville. Assis sur les pavés, i1s regardaient " le feu du ciel " s'abattre sur les toits. Le bruit assourdissant de la pluie tombant sur la surface du fleuve couvrait leurs voix mais, de toute façon, ils n'avaient rien à se dire, rien à faire remarquer, c'était comme si l'horloge du temps s'était tout à coup arrêtée. Plus un bruit, plus un mouvement : la ville était comme endormie.

A l'abri d'un pont, ils se tenaient la main en toute simplicité et admiraient la pluie en rêvant, pensant peut-être à leurs vacances d'été, au soleil de leur dernier amour ou même à la nuit qu'ils avaient devant eux.

Cet homme et cette femme n'avaient aucune envie de bouger : ils étaient bien ! On avait l'impression qu'on les verrait là pendant des jours, et même des mois.

Il portait un chapeau sombre et brun ; baptisons-le "Willy". Elle N'était couverte que d'une robe courte sans manches ; appelons-la "Dianna". Sans raison apparente, Willy se leva et regarda Dianna :

- Sous cet angle et éclairée de la sorte, vous avez l'air de la fille des ténèbres.
- Dois-je prendre cela comme un compliment ?
- Je le pense. Vos lèvres sont aussi rouges et aussi belles qu'un pétale de rose, votre chevelure mouillée, petit air complice ; j'ai l'impression que c'est vous et vous seule qui guidez mes pas à présent, que je tombe dans piège sans issue, et pourtant votre compagnie est si agréable !

Dianna tendit ses mains vers son partenaire qui l'aida à se relever Elle le regarda un instant, elle souriait. Un autre sourire mais qui, celui-là, dépassais les limites d'un visage s'imprima sur les lèvres de notre ami. Elle venait, pour la première fois, de l'embrasser ; elle l'entraînait à présent sous des pluies torrentielles, vers le dessus du pont qui les abritait encore il y a un instant. Ils ne s'y arrêtèrent de courir que lorsque le pont fut qu'ils trouvèrent le porche d'une maison proche. Ils riaient comme deux enfants qui venaient de sauter dans les flaques d'eau alors que leurs parents le leurs avaient formellement interdit.

Ils s'embrassèrent longuement avant de quitter le porche. Traversant Les ruelles, courant à travers les parcs, les chemins et les avenues, jouant avec la pluie et riant de bon coeur , ils se dirigèrent vers l'appartement de Willy après s'être secoués au-dessus de l'entrée de l'immeuble, ils s'embrassèrent une dernière fois avant de s'engouffrer dans l'ascenseur qu'ils venaient d'appeler.

Le temps peut s'arrêter, les hommes, eux, ne cesseront d'aimer !

Doriane RENETTE, de Ferrières

 Début

 

L'orage.

Un éclair éclata,
Autour de lui des cendres.
La lumière du fracas
Laissait la pluie descendre.

Le Tower-Bridge, bien blême,
Une banlieue new-yorkaise,
un amour de bohème,
Et des éclairs de braise :
C'était ce paris un peu fou,
Ce pari insensé,
Qui, pour un soir, c'est tout,
Nous était révélé.

De par ses joutes subtiles,
La pluie guidait nos pieds.
Si déserte était l'île
Qu'ils l'ont bientôt peuplée.

De la lumière, puis du son,
L'azur usait pour Caïa courtiser.
Mais insolent à leurs leçons,
De l'onde première je me contentai.

Et nos yeux virent,
Virent et pour la première fois se virent
pour la première fois, aussi, la foudre sans façon,
Frappa au bord de la Seine, et sous un pont.

Un éclair éclata,
Et cela nous fut tendre :
Le bonheur serait là...
Jusqu'à la pluie des cendres.

Jonathan ENGELINUS, de Bertrix.

 Début

 

Juste le temps d'un orage.

Devant mes yeux, l'orage se déchaînait la pluie tombait, martelant le sol avec une violence inouïe. Chaque coup de tonnerre me faisait sursauter. Lui, Calme, silencieux, ne bronchait même pas Il semblait absorbé par les gouttes acharnées, formant une mélodie régulière et chantante, qui gonflaient à chaque instant le flot de la Seine. Comment m'étais-je retrouvée ici avec ce garçon que je ne connaissais pas ? La pluie nous avait surpris nous forçant à nous réfugier sous ce pont qui me paraissait maintenant si hospitalier. Le vent soufflait de plus en plus fort, je grelottais. Il leva les yeux sur moi, me sourit et me demanda : " Tu as froid ? "

J'avouais presque honteusement que oui. Il se rapprocha de moi et m'entoura de ses bras. Je me laissai aller comme un bébé et me blottit contre lui. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine. Je me réchauffai peu à peu. Un long moment s'écoula. Soudain, je détachai lentement ma tête de son épaule, le regardai dans les yeux et, sans m'en rendre compte, commençai à lui raconter ma vie monotone, mes parents, les amis que je n'avais pas, à lui parler de mes chiens et de ma petite soeur. Et lui, il m'écoutait, riant lorsqu'il fallait rire, me prenant la main lorsque ma voix se cassait. Je parlais, encore et encore, n'arrivant pas à m'arrêter, à le laisser parler de lui de sa vie. Il répondait à mes questions, me conseillait. Nous parlâmes ainsi pendant près de deux heures et la pluie avait cessé depuis longtemps quand nous nous séparâmes. Il me promit qu'on se reverrait. Cela fait deux ans aujourd'hui que j'ai vécu cette aventure et j'ai cherché partout en vain après ce garçon. Je crois bien que je ne le retrouverai jamais.

Christel GEIREGAT, de Baudour

 Début

 

Le pont d'Alienor-Anne

J'ai toujours aimé le mystère, la Passion. J'ai toujours été mystérieux, passionné. Mon désir de vivre était là, reste là ... Grâce à toi ... Ma vie ... Une vie sans rien, c'est-à-dire avec tout. Avec des parents, des jouets, une maison. Mais sans Amour, l'Amour avec un grand A, l'Amour dont on rêve chaque fois que l'on est triste. Cet amour qui a toujours manqué en moi. C'est dur d'aimer quand on ne sait pas. C'est dur d'aimer quand on n'a jamais pu. Un jour, toi, tu m'as appris. Tu m'as appris comme on apprend à un bébé. Tout en toi est mystère et passion. J'ai découvert une face cachée de mon être ... Chaque soir, sous le pont de fer, tu étais là, le sourire au visage et les bras ouverts. A l'abri de la pluie et des Regards indiscrets, tu me racontais ma Vie qui venait de commencer. C'est sous ces froides poutres de métal que j'ai connu l'Amour ...

Vêtu de mon chapeau gris, de mon blue-jeans et de ma veste kaki, je sillonnais les rues de New York. Je rêvais aux paroles que tu me disais. Que me disais-tu Déjà ? Ah, oui. L'Amour est patience, confiance. Il écoute le bruit de la pluie, et laisse passer l'orage. Il donne, partage, reçoit et est patient.

Je pleure. Je ne serai plus jamais patient. Tu es partie là d'où on ne revient jamais. Tu étais ma vie. Tu me l'as annoncé sous le pont de métal. Tu te souviens ? Evidemment, tu te rappelles. Comment oublier cela ? Tu m'as expliqué que tu partais, que c'était fini. Tu étais malade. De quoi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Et puis, à quoi bon ? Tu es partie le 22 juin. Il pleuvait dans mon coeur et sur New York. Une pluie battante, torrentielle.

Si, aujourd'hui, je repense à ces jours de liesse et de peine, c'est parce que les hommes ont démoli le pont de métal ce pont jeté entre ta vie et la mienne entre toi et moi.

Les soirs où la pluie est présente dans mon coeur (et parfois dans New York) j'entends le vent me murmurer ton nom Alinéor-Anne ...
Merci à toi ...

Aurélie POTTIER, de Liège.

 Début

 

Une journée sans nuages

Sur le quai infidèle des images en partance, deux ombres se recueillent l'amour impalpable d'un éclair d'espérance. La caresse d'une main, la douceur d'un baiser sur les lèvres glacées et les gouttes d'eau pures s'enfonçant dans l'oubli sont les seuls compagnons d'une soirée d'abandon; solitude partagée de deux amants attendant la lumière d'une journée sans nuage.

Et voici, soudain, traversant l'épaisse couche du désespoir grisâtre qui recouvrait le ciel, le mystère infini d'un amour dévoilé. Les yeux se touchent, les mains se rencontrent, les coeurs et les esprits se réunissent pour n'avoir en fait qu'une seule pensée : celle des amoureux sous un pont de Paris. S'élève alors l'oiseau de proie sur le rocher du désir qui délivre les âmes du repos éternel. Elles s'envolent pour rejoindre l'abîme profond des amours naissants... Les nuages se dissipent peu à peu et une lueur apparaît, presque imperceptible.

Sur les chemins inaccessibles d'un amour sans promesses, deux anges s'enlacent. Un rayon échappé du pinceau de l'auteur brûle les corps libérés; c'est le début de l'espérance, celle des amoureux sous un pont de Paris, contemplant, indécis, une journée sans nuage.

Marie ADAM, de Grand-Han.

 Début

 

Et maintenant, est-ce que je regrette ?

Je vois très clairement, du royaume du vide,
Ce soir où je longeais un lugubre canal
Et où, aspiré par les flots d'ombres avides,
Je me laissais glisser vers le plongeon fatal.

Je me souviens de tout : de mon désir de mort,
Et de mon espérance il m'en restait un peu -
De croiser sur ma route un homme au coeur en or.
Qui hâterait ma fin et éteindrait mon feu.

Je priais le Démon d'envoyer le tonnerre
Sur mon corps en souffrance afin qu'au moins mon âme,
Et peut être ma chair, ne pourrissent sur terre
Mais nourrissent l'orage et fortifient sa flamme.

Je me rappelle aussi de ce pont métallique
Sous lequel je passai et où, apercevant
Deux êtres qui semblaient pauvres et squelettiques,
Je crus qu'enfin la mort reprenait les devants.

Hélas je fus déçu en voyant leurs visages :
Il s'agissait d'un père auprès de sa fillette
Et tous deux regardaient le ballet de l'orage
En riant aux éclats, oubliant leur disette.

Alors je compris que, si ces gens souriaient
Sous le bruit, la clarté des ires du Malin,
C'était car ils savaient qu'ils étaient protégés
Par le pont bien forgé de leur cuisante faim.

Ils n'avaient rien à perdre et d'ailleurs n'avaient rien.
Ils pouvaient se moquer de la nuit indécise
Qui changeait de clarté et effrayait les saints
Qui dans leur paradis jamais ne se ravisent.

Mais moi, j'étais sensible aux foudres de la vie
Et j'avais appelé les éclairs de la mort.
Alors quand le tonnerre son dernier coup sévit,
Je plongeai dans le noir, laissant couler mon corps.

Préférant mourir riche et ne souffrant qu'un peu,
Plutôt que de crever lentement mais heureux.

Thomas CLAUS, de Mons.

 Début

 

Le vieux qui regardait l'eau.

L'eau coulera toujours sous les ponts. C'est même leur raison d'exister : laisser couler l'eau entre leurs arches. Et sous tous les ponts du monde. il y a des gens qui regardent couler l'eau. Des vies entières passées à regarder le même spectacle. Le spectacle de l'eau qui coule. Qu'y a t il de plus merveilleux à regarder qu'un spectacle qui ne finira jamais ? Et tous ces gens qui regardent l'eau pour la même raison : parce que c'est beau. Aucune raison n'est plus sublime que celle-ci : parce que c'est beau, tout simplement. Pas parce que c'est extraordinaire, nouveau ou amusant, mais parce que c'est beau ...

Parmi tous ces gens qui regardent l'eau, il y avait un vieil homme, qui regardait aussi l'autre rive. Peu importe son nom. Il s'appelait vous, il s'appelait moi. cette autre rive l'obsédait. Il avait envie de voir comment coulait l'eau de l'autre côté, et il avait peur qu'elle ne coule pas de la même façon. Il avait peur que l'eau ne soit pas aussi belle de L'autre côté. Le monde d'en face le fascinait, et il craignait qu'il ne brisé dès l'instant où il Y poserait le pied. Parce que ce monde ne serait plus inconnu.

Il s'assit, les pieds dans l'eau, et il regarda encore l'autre rive. Il la regarda une dernière fois. Une dernière fois avant de traverser le fleuve. Le désir s'était transformé en besoin. En besoin de savoir comment coulait l'eau de là-bas.

Il ôta ses chaussures, pour ne pas salir l'eau et il plongea. Jamais il ne pensa à monter sur le pont. Parce que le pont n'existait plus. Ou n'existait pas. Seul comptait l'autre rive. Le pont appartenait à un monde qui n'avait jamais su regarder l'eau. Arrivé au milieu du fleuve, il plongea sa tête sous l'eau pendant un temps qui lui sembla infini. Puis il regarda les deux rive. Et il fut incapable de reconnaître la sienne. Il ne sut plus de quel côté, se diriger, et alors il comprit.

Il comprit sa vie. Une vie passée à contempler l'eau. Une vie qui n'avait de raison d'être que pour ce seul instant. Cet instant où il était au milieu des flots, perdu entre deux rives. Cet instant sublime, où plus rien d'autre que l'eau n'avait d'importance. Il ne voulait pas atteindre l'autre rive, il voulait atteindre l'eau. Quelle importance pouvait avoir l'autre rive, désormais ?
Il était l'eau ...

François GEMENNE, de Liège.

 Début


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